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  • Colette et Jean-Paul Deremble

Séance 11, Zachée, Pistes de réflexion sur l'Incarnation.

Dernière mise à jour : 23 mars 2021


Séance 11. L’épisode de Zachée (Luc, 19, 1-10.) Pistes de réflexion sur l’Incarnation.


La vidéo qui correspond se trouve sur youtube : https://youtu.be/U1tvld5KlwU



. Le cœur du message évangélique

Ce récit est un trésor. Il donne la clé de l’Évangile : instaurer une relation entre les hommes qui soit une relation d’accueil, d’échange et de partage. Une relation d’hospitalité réciproque, malgré les différences, voire les hostilités, qui trop souvent nous éloignent les uns des autres et développent des attitudes de défiance, d’exclusion, de violence.


. Une tradition millénaire

Le récit s’inscrit dans la tradition millénaire de l’hospitalité en son sens sacré : il reprend une structure narrative développée dans les principales cultures du monde.

- Dans l’Ancien Testament, il faut évoquer la rencontre fondamentale d’Abraham et des trois visiteurs sous le chêne de Mambré (Genèse 18, 1-19). Cette hospitalité est à l’origine de la promesse qui fait d’Abraham le père d’une famille nombreuse, regroupant tous les croyants. De nombreuses scènes dans la Bible font écho à cette rencontre : l’évangéliste en reprend rigoureusement la structure. L’Évangile cite nettement la descendance d’Abraham née d’une hospitalité première.

- Dans l’hindouisme, les textes sont nombreux pour exalter l’hospitalité : l’hôte est le brahman, l’âme universelle, Dieu lui-même rendu visible aux yeux du maître de maison qui l’accueille.

- Le bouddhisme considère l’hospitalité au même titre que la tolérance et invite à faire sauter les barrières sources de violence entre les hommes.

- L’Islam, né à Mambré aussi, considère l’accueil comme l’un des piliers de la religion, l’aumône au sens fort de partage des richesses.

- Dans la tradition gréco-romaine

L’hospitalité est l’objet d’un très grand mythe, celui d’Orion. Ovide raconte que trois dieux (Jupiter, Neptune et Mercure) voyageaient ensemble. Un vieil homme, Hyriée, sur le seuil de sa porte, invite les étrangers (il ne sait pas que ce sont des dieux) à partager son maigre repas. En remerciement, les dieux, qui se révèlent à Hyriée, lui promettent la naissance d’un fils, contre toute attente : c’est Orion. Pour malgré tout garder la mémoire d’Orion, les dieux font d’Orion une très belle constellation dans le ciel (citée dans l’Iliade et dans l’Odyssée).

Platon, dans le Banquet, parle aussi de la rencontre entre l’homme ivre de sa richesse (Porion) et de la pauvreté (Pénia), comme étant à l’origine de la naissance de l’amour, Eros.


Les évangiles au cœur de cette longue tradition

Situer la scène de l’Évangile dans ce terreau de récits fondateurs est important pour comprendre que l’Évangile dialogue avec les cultures. Il ne s’affranchit pas d’une quête d’humanité fondamentale, qui est la clé de la naissance d’un monde nouveau. Les évangélistes, comme les auteurs de la Bible, vivent dans un milieu où différentes traditions religieuses circulent et ils y font écho. Les chrétiens appartiennent à cette humanité qui cherche le salut, c’est-à-dire la vie où l’homme et l’autre, Dieu dans son altérité radicale, s’accueillent l’un l’autre par-delà leurs différences a priori insurmontables. Ils ne sont pas seuls à vouloir accueillir Dieu dans leur vie. Ils contribuent au contraire à la réalisation d’un projet sublime en reprenant cette scène de la vie quotidienne pour lui donner une plus grande universalité encore.


. La rencontre de l’hôte/ennemi

A vrai dire l’hospitalité n’est pas évidente car il faut vaincre des tonnes de préjugés, de règles, souvent religieuses d’ailleurs, qui mettent l’étranger à distance, plus encore de peurs d’être envahi par l’inconnu, de résistances pour se protéger et préserver son identité. Paradoxalement le mot même d’hospitalité contient en son sein une contradiction puisqu’on y retrouve la racine host, qui désigne l’ennemi (à l’origine de l’hostilité). L’histoire commence par le fait qu’étant différent, l’étranger représente plutôt d’abord un danger. Précisément le travail opéré par les récits fondateurs consiste à transformer l’hostilité en hospitalité. Cette transformation est le fait d’un maître (la deuxième racine pet dans le mot hospitalité), qui ne craint pas de faire d’un ennemi un ami. Sur ce point Jésus va très, très, loin dans l’acte d’hospitalité.



. Un accueil réciproque sans condition

L’Évangile raconte donc une rencontre entre deux hommes (n’allons pas trop vite pour dire que l’un est Dieu et l’autre un homme, comme si l’inconnue propre à toute rencontre était résolue, les textes insistent sur le fait que les différents acteurs de la scène ne s’identifient pas nettement dès le début). Le salut résulte d’une rencontre : vivons cette rencontre avec toutes ses inconnues initiales, inquiétantes mais surmontées.

- Jésus marche : dans le texte évangélique, Jésus est dans le rôle de l’étranger. Il ne reste pas chez lui, d’ailleurs il n’a pas de maison. Il est curieux des autres, très avide de rencontres : l’Évangile en est rempli à un degré jamais atteint jusqu’alors. Le chrétien est d’abord un homme qui marche sur les chemins du monde et qui ne cesse de vouloir rencontrer l’autre et dialoguer avec lui quel qu’il soit.

- Zachée en attente. Zachée est, lui aussi, curieux de connaître cet homme Jésus qui mobilise des foules. Pour mieux le voir, il monte dans un sycomore : c’est un arbre, comme le chêne de Mambré, comme le figuier sous lequel se trouve Nathanaël.... .La croix aussi est un arbre....L’arbre a un sens symbolique.

Il est riche tandis que Jésus est pauvre. On ne voit pas ce que Jésus peut apporter à Zachée.

Zachée n’est pas très recommandable, pas très religieux, et même assez impur au point que les règles imposent plutôt une distance à maintenir avec ce genre de personnages. A vrai dire personne n’est très ami avec son inspecteur des impôts. Tout en cherchant à voir, Zachée ne se montre pas directement, il se cache plutôt dans les branches de l’arbre.

Finalement la rencontre ne devrait pas avoir lieu.

-Jésus va chez l’autre. Mais elle a lieu. Jésus voit Zachée. Non seulement il lui parle mais il lui demande de venir dans sa maison. Voilà que tout ce qui est raconté dans les vieux récits millénaires de l’hospitalité se réalise. Jésus ne dit pas : « viens chez moi » ; il n’a pas d’autre chez lui que la maison des autres : il demande l’hospitalité.

Zachée est trop heureux d’accueillir Jésus chez lui, d’ouvrir sa maison à cet autre si différent de lui, qui pourrait peut-être le condamner pour son genre de vie, qui devrait le mettre à distance.

Zachée comme Jésus n’ont pas peur de l’un de l’autre.

- Zachée en est transformé. Et l’incroyable se réalise, l’absolu inattendu se manifeste. Non seulement Jésus va habiter chez les pécheurs (ce qui lui est terriblement reproché, ce qui est littéralement scandaleux), mais Zachée de son côté décide de changer radicalement sa vie en pratiquant à grande échelle l’acte de charité envers ses semblables (ce qui est tout à fait inouï).

Voilà le salut, la bonne nouvelle, la nouveauté inattendue, la naissance d’un monde nouveau appelé à la fécondité la plus universelle.

- Ce récit est un récit d’incarnation. On peut à ce moment parler de Dieu incarné. Jésus par sa puissance d’hospitalité sacrée en acte révèle la puissance d’un Dieu qui vient demeurer chez les hommes (Jean, Prologue 1, 14). Zachée par la même puissance d’une hospitalité sacrée donne naissance au nouveau peuple d’amour. C’est le pauvre qui venant habiter chez le riche donne au riche de devenir pauvre par amour, c’est Dieu qui faisant sa demeure au cœur de l’humanité donne à l’humanité d’être divinisée par la charité.

Les apôtres vont poursuivre cette dynamique de l’hospitalité généralisée en allant aux quatre coins du monde rencontrer les hommes de toutes les cultures, de toutes les races, de toutes les religions pour partager une même quête de salut.

Ainsi Pierre quand il comprend qu’il doit aller chez le centurion romain Corneille et manger avec lui les viandes impures pour que se réalise le salut promis (Actes 10), aux antipodes des prescriptions d’isolement édictées pour préserver une pureté inhumaine.


Aujourd’hui

Qui n’a pas vécu de telles hospitalités, au cours de voyages, de déplacements, d’enquêtes approfondies sur nos différences culturelles, raciales, de genres... d’expériences humaines tout simplement ?

On peut bien sûr en rester à ce qui nous sépare, aux rencontres manquées ou impossibles, aux conflits qui nous désolent, aux règles que les autres imposent pour se protéger ou dominer, et se bloquer dans des refus d’accueillir et d’être accueilli.

Mais combien est-il plus fondateur de multiplier les moments d’hospitalité qui transforment en profondeur notre vision du monde et posent les bases d’un monde fondé sur l’acte de confiance et de déplacement vers l’autre.

Il reste un dernier mystère dans la pratique de l’hospitalité, c’est le fait que l’hôte dans notre langue, mais aussi dans la langue la plus ancienne de l’humanité, désigne aussi bien celui qui accueille que celui qui est accueilli. Celui que j’accueille m’accueille tout autant et réciproquement. Zachée accueillant Jésus se découvre accueilli par lui, de là surgit la conversion de Zachée qui remercie Jésus, fait une action de grâces et change sa vie du tout ou tout en plaçant l’accueil de l’autre au-dessus de tout. L’échange des rôles vécu dans l’hospitalité dit précisément la Bonne Nouvelle de l’incarnation, c’est-à-dire l’amour partagé sans condition, sans limite, au point que je deviens l’autre, que Zachée devient Jésus et que Dieu se fait homme.

Ce mythe n’a pas seulement une dimension individuelle. Comme tous les mythes, il a une portée universelle. Il résume tout le combat actuel du pape François, qui se situe résolument dans une perspective politique : il s’agit de vivre ce message évangélique à l’échelle du monde et des grandes migrations qui le traversent.



La phrase que l’on peut retenir dans notre boîte à trésors : « Aujourd’hui il faut que je demeure dans ta maison »


L’Hospitalité d’Abraham, Mosaïque de Saint-Vital de Ravenne, 6ème siècle

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